Article de presse du Journal Le Mauricien
lemauricien.com
Engager la société dans un projet commun
Ils sont trois hommes à s'être penchés sur la question sérieusement, poussés par Joël de Rosnay, biologiste réputé. L'idée est audacieuse, mais pas irréaliste : faire de Maurice, un exemple de développement durable pour la communauté internationale. L'on parlait de cyber-island. Nous parlerons peut-être bientôt d'île durable, un concept qui s'appuiera sur les ressources et l'intelligence du peuple mauricien.
Stefan Atchia, conseiller sur la politique nationale du transport de masse, au ministère des Infrastructures Publiques, Khalil Elahee, chargé de cours à la faculté d'Ingénierie de l'Université de Maurice et Jean-Pierre Hardy, homme d'affaires qui se dit " sensible aux questions de production d'énergie et amoureux de la nature ", ont développé dans un document - qui a été publié dans notre édition du lundi 10 décembre) - le concept d'île durable. L'idée est de saisir l'occasion des réformes actuelles et à venir, tant sur le plan économique que social, pour transformer radicalement la perception internationale de notre pays.
Jean-Pierre Hardy se plait à rappeler que le site du Trou-aux-Cerfs est vieux de 7 millions d'années. L'y retrouver, mardi dernier, en compagnie de Khalil Elahee, pour parler des enjeux liés au développement durable, avait quelque chose d'un symbole particulier fait à la fois de permanence et de fragilité. L'heure est au consensus national, disent-ils. À l'heure où la réforme de l'industrie sucrière est engagée, à l'heure où le baril de pétrole flirte avec la barre des $ 100, à l'heure où le coût de la vie grimpe au rythme de la dévaluation de notre roupie, à l'heure, enfin, où les multinationales pétrolières et les pétro-monarchies enflamment les spéculations des marchés, l'enjeu est presque critique. Il nous faut nous réinventer si nous ne voulons pas être engloutis dans les batailles commerciales opposant les géants occidentaux, chinois et indiens. Notre statut d'état insulaire nous rend par ailleurs particulièrement vulnérables à la montée des eaux, due au réchauffement climatique.
Il faut donc agir. Pour cela, chaque citoyen devra être convaincu de l'importance de sa partition à jouer au cours de ce grand concert de notre pérennité. " Le XXIe siècle sera le siècle de l'énergie. " Autrement dit, nous ne pouvons plus dépendre - en tous cas plus pour très longtemps - de l'énergie provenant des produits pétroliers importés.
Une des alternatives proposées par Khalil Elahee et Jean-Pierre Hardy est la mise en place d'un projet de micro-génération qui permettrait à " chaque foyer d'être son propre producteur d'énergie. " D'ailleurs, selon ces derniers, Maurice possèderait certain avantage par rapport à d'autres nations : " En tant qu'état insulaire, notre bilan énergétique est plus facile à établir ". Les ingrédients sont là : soleil, vent, canne. Traduction : chauffe-eau solaires, éoliennes et usage résolu de la bagasse, ensemble, nous sortirons de l'impasse de la dépendance exclusive aux produits fossiles. D'autant plus que la qualité des carburants, en particulier le diesel, laisse franchement à désirer, rappelle Khalil Elahee. Cette dépense annuelle qui atteindra 20 milliards l'an prochain, pour faire rouler nos bus, nos camions et nos voitures, est également à l'origine d'une incidence élevée de pathologies respiratoires et cardiaques. " La corrélation a été clairement établie entre l'incidence des pathologies du peuple et l'utilisation de carburants polluants ", insiste le scientifique.
Chaque Mauricien est appelé à y participer. " Il n'y a pas de petit geste quand on est un million ", rappelle Jean-Pierre Hardy, en apportant une légère modification au slogan de la dernière campagne de sensibilisation d'EDF en France. Chacun peut à sa manière apporter sa pierre à l'édifice de ce nouveau projet. Encore faut-il trouver un consensus auprès des autorités et des principaux stakeholders. Première étape : faire un bilan de notre consommation d'énergie d'une part, et un audit des terres d'autre part. Ensuite, réfléchir aux moyens de faire baisser les dépenses nationales en investissant dans des stratégies environment-friendly à long terme. C'est la Multi-Annual Transformation Strategy (MAST), " fondée sur une approche holistique ", note Khalil Elahee. Enfin, travailler aux résultats à obtenir : réduire drastiquement la pollution générée par les industries de textile et touristiques, adopter une vraie politique d'urbanisation et de gestion des terres, proposer des systèmes de production d'énergie aux foyers, s'approcher des normes internationales en ce qui concerne la production de CO2 et d'utilisation de produits pétroliers. Entre autres.
Il reste la question de l'échéance : la date de 2028, soit l'année du soixantième anniversaire de l'Indépendance, est avancée. Symbole… Qui s'accompagne d'objectifs énoncés : 60% de l'électricité produite à partir de ressources renouvelables, dont, pour 40% du total, la bagasse, 20% de l'essence remplacée par l'éthanol et le biodiesel.
Enfin, la condition pour que ce rêve touche la réalité : la dépolitisation des débats. " Je m'engage dans ce projet en tant que citoyen du monde, et je souhaite qu'une réflexion globale soit suscitée à partir de ce manifeste ", avance Jean-Pierre Hardy. " Les références politiques et socio-communautaires plombent le débat (...) Ce n'est pas une approche de droite ou de gauche mais une question de devant/derrière ". Par ailleurs, Khalil Elahee prend bien soin de préciser que " réinventer l'île Maurice " ne sera pas chose facile. " Chez les politiques, les actes ne suivent pas toujours la volonté ", affirme-t-il.